En boycottant plusieurs matchs de play-offs le 30 août pour protester contre les violences policières à l'encontre de Jacob Blake, les joueurs de NBA ont lancé un mouvement sans précédent suivi par de nombreux sports américains. Une nouveauté pour la NBA, considérée jusqu'ici comme trop lisse sur les questions politiques et sociales.
Mercredi 26 août, 17 heures. À 4h30 du coup d'envoi du cinquième match entre les Milwaukee Bucks et les Orlando Magic comptant pour le premier tour des play-offs, les questions sont encore très terre à terre. Les Bucks vont-ils gagner et se qualifier dès ce soir pour la suite de la compétition? Combien de points Giánnis Antetokoúnmpo, le meilleur joueur de la saison dernière, va-t-il encore marquer? Mais 15 minutes plus tard, la nouvelle tombe. Les joueurs n'ont pas la tête au sport et décident de boycotter leur match en réaction à l'affaire Jacob Blake, du nom d'un jeune afro-américain grièvement blessé par balles par un policier dans le Wisconsin.
«La NBA et la NBPA annoncent aujourd'hui qu'à la lumière de la décision des Milwaukee Bucks de ne pas jouer leur cinquième match contre les Orlando Magic, les trois matchs d'aujourd'hui –MIL-ORL, HOU-OKC et LAL-POR– ont été reportés. Le cinquième match de chaque série sera reporté.»
Un geste sans précédent dans l'histoire du sport américain
Le report du match entre Milwaukee et Orlando en entraîne d'autres. La NBA annonce que les trois matchs de la soirée sont remis à une date ultérieure. «C'est du jamais vu dans l'histoire du basket américain», confie Gary Washburn, journaliste sportif au Boston Globe et présent dans la bulle d'Orlando avec les joueurs. «J'ai été impressionné par leur décision. Ils ont montré que les basketteurs étaient aussi des citoyens concernés par ce qu'il se passe dans leur ville et dans leur pays, mais aussi qu'ils avaient le pouvoir de changer les choses.»
Les joueurs de NBA ne le savent pas encore, mais ils viennent de lancer un mouvement global repris par de nombreux sports américains. La MLS, principale ligue professionnelle de soccer, est la première à annoncer elle aussi le report de cinq de ses six matchs prévus initialement les 25, 26 et 27 août. Plus de vingt équipes de baseball (MLB) suivent également l'exemple de la NBA en refusant de jouer, tout comme la WNBA, la ligue de basket féminine. Au tennis, la joueuse japonaise d'origine haïtienne Naomi Osaka décide de se retirer du tournoi de Cincinnati. «C'est la première fois qu'une décision prise par des joueurs dans une ligue entraîne les autres sports avec elle. C'est un geste sans précédent dans l'histoire du sport américain», estime Gary Washburn.
Les joueurs et la ligue main dans la main
Si la décision de boycotter les matchs a été uniquement prise par les joueurs, la NBA s'est montrée compréhensive, comme l'explique Gary Washburn. «La ligue a été surprise et prise un peu au dépourvu au début, comme nous les journalistes. Mais elle n'a pas tardé à réagir en soutenant les joueurs.» Le conseil d'administration de la NBA publie un premier communiqué.
Puis organise une réunion le 27 en présence de plusieurs joueurs, entraîneurs et patrons de franchise pour écouter leur demande.
Ils décident ensemble de reprendre la saison deux jours plus tard, le samedi 29, et prennent plusieurs engagements communs forts. Parmi eux, la création d'une fondation pour la justice sociale et l'aménagement de toutes les enceintes de NBA en bureau de vote pour l'élection présidentielle de novembre. «Plusieurs raisons expliquent pourquoi la NBA devient un exemple politique dans le sport américain. Premièrement, 75% des joueurs sont noirs américains dans la ligue, et à la différence du football américain ou du hockey, ils ont de très bonnes relations avec leurs employeurs, analyse Gary Washburn. C'est une ligue plus ouverte sur le monde, avec un public qui n'est pas uniquement blanc.»
Incident diplomatique avec la Chine
Mais la NBA n'a pas toujours été leader sur les questions politiques et sociales, loin de là. Elle avait encore récemment la réputation d'une ligue lisse uniquement intéressée par son développement économique. Pas plus tard qu'en octobre dernier, la NBA a frôlé l'incident diplomatique pendant une tournée en Chine, lorsque Daryl Morey, le directeur général des Houston Rockets, se fend d'un tweet en soutien aux manifestations de Hong Kong.
Scandalisée, la fédération de basket chinoise menace de ne plus diffuser les matchs des Rockets et de remettre en cause ses partenariats avec la NBA, un marché extrêmement juteux pour la ligue américaine. Très vite, le grand patron des Rockets Tilman Fertitta et la NBA se désolidarisent de Morey, évoquant «un avis personnel regrettable ne représentant ni les Rockets ni la NBA». Même LeBron James, le joueur des Los Angeles Lakers, essaie d'éteindre l'incendie en critiquant la décision de Daryl Morey. «Je ne veux pas me disputer avec lui mais je crois qu'il n'est pas assez au courant de la situation, et qu'il a parlé trop vite.»
«Les Républicains aussi achètent des baskets»
Il est sans doute la plus grande star que la NBA ait connue. Mais au-delà de son aura planétaire, Michael Jordan a souvent été critiqué pendant sa carrière pour son manque d'engagement citoyen. En 1990, Harvey Gantt est le premier candidat afro-américain au Sénat. Il se présente en Caroline du Nord, là où Michael Jordan a grandi, face à un Républicain conservateur critiqué pour sa politique raciste. Mais approché par l'équipe de campagne de Gantt, le joueur des Chicago Bulls refuse de supporter le candidat noir et d'enregistrer un message publicitaire pour lui, lâchant une phrase qui deviendra tristement célèbre: «Les Républicains aussi achètent des baskets», en référence à sa marque Air Jordan lancée six ans plus tôt. «Je respecte et admire les sportifs engagés. Je ne me suis jamais considéré comme un activiste, mais seulement comme un joueur de basket», se justifie Michael Jordan des années plus tard dans le documentaire The Last Dance, sorti sur Netflix en avril en France.
«Il y avait moins de conscience sociale en NBA dans les années 1990, admet Gary Washburn. Néanmoins à l'époque, il fallait acheter le journal pour savoir ce qu'il se passait aux États-Unis et dans le monde, alors qu'aujourd'hui, les joueurs sont au courant de tout grâce aux réseaux sociaux.» Pour le journaliste, «la hausse des tensions dans le pays a éveillé les consciences de nombreux joueurs qui estiment que trop, c'est trop».
Un nouveau commissaire progressiste
Et si c'était lui, l'incarnation du nouveau visage progressiste de la NBA? Élu à l'unanimité à la tête de la ligue en février 2014 en remplacement de David Stern, Adam Silver n'a pas tardé à marquer son territoire et ses idées. Deux mois après sa prise de fonction, il décide de bannir à vie le patron des Los Angeles Clippers, Donald Sterling, après des propos racistes sur les Noir·es américain·es, lui infligeant également une amende record de 2,5 millions de dollars [2,1 millions d'euros].
En juillet 2016, il retire les play-offs promis à la ville de Charlotte alors que l'État de Caroline du Nord refuse d'appliquer une loi fédérale permettant aux personnes transgenres d'utiliser les toilettes selon le genre auquel elles s'identifient. Plus récemment, au moment de la reprise de la NBA à Orlando fin juillet, Adam Silver a encouragé les joueurs à s'exprimer et à manifester leur soutien au mouvement Black Lives Matter. On les a tous vus poser un genou à terre pendant l'hymne national et porter des maillots floqués aux noms de victimes de bavures policières.
«Les @PelicansNBA & @utahjazz s'agenouillent lors de l'hymne national lors de la reprise de la NBA.»
«Adam Silver est un vrai progressiste qui a compris les enjeux de notre époque en se positionnant du côté des joueurs», résume Gary Washburn.
September 03, 2020 at 02:10PM
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En boycottant les play-offs, la NBA s'est enfin engagée sur le front politique | Slate.fr - Slate.fr
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lisse
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